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Gianina CARBUNARIU

Auteure, metteure en scène associée au Théâtre-Studio depuis 2005

Directrice du Théâtre de Piatra Neamt en Roumanie 

PRÉFACE POUR LA PUBLICATION DE « AVANT HIER APRÈS DEMAIN » AUX ÉDITIONS L’ESPACE D’UN INSTANT

En guise de préface
Depuis Sarah Kane, j’attendais une parole qui accepte d’affronter l’implacable, de ne pas se cacher derrière ses mots et de changer notre façon de comprendre le monde. Qui à travers la cartographie de notre monde, nous dise que la réalité a changé, mais aussi notre perception de la réalité.
Cette parole, c’est Gianina Cãrbunariu.

En temps de paix, les citoyens des grandes puissances démocratiques se ruent sur ce qui va leur permettre de s'extirper de leur quotidien, le divertissement.
Un « objet culturel » à tel point subordonné à la Culture qu'il a pour fonction de nous extraire de la réalité d'une société afin que nous y replongions avec le sourire béat convaincu de la véracité de nos mythes.
Ce divertissement est présent dans chaque œuvre qui tend à donner corps à l'idéal sur lequel se fonde le pouvoir d'une société.
Comme une propagande subliminale, les fleurons de positivité que devrait exhaler une société du progrès sont représentés.

Nous avons perdu le sens tragique de l'humain, nous nous attachons à le regarder.

La conscience qu'a le citoyen d'un pays démocratique de sa condition non comme un état de fait mais comme un sursis, le pousse à lutter pour servir un ordre nouveau.

Il lutte pour la conservation de ce qu'il possède et de son champ d'action réduit à quelques cercles sociaux quotidiens.
Il est dans un état de paix relative puisqu'il se protège.
Il ne peut donc se penser autrement.

Une culpabilité universelle serait la conséquence d'une telle pensée en mouvement, comme une «sur-conscience» des conditions et des règles du reste du monde.

Le divertissement n'est pas un corollaire de la précarité de pensée, mais il participe de ses origines en ce qu'il est un organe du pouvoir.

Lorsque maintenant nous nous projetons dans un temps de guerre, temps où le changement abrupt des règles confronte l'individu à l'obligation de s'adapter à une situation contre nature (l'occupation, l'incarcération), nous sommes face à une recherche du divertissement qui s'apparente aux plus grandes quêtes en ce qu'elle est fondatrice du fait d'être humain.

Il s'agit de s'abstraire de cette réalité pour ne pas s'oublier et se redécouvrir.
Culture, langue et mythe deviennent garants de qui nous sommes.
Ces contextes extrêmes refondent ce qu'il y a de plus précieux dans notre humanité, et c'est L'imagination qui permet de remettre en jeu son humanité et donc sa dignité.
Nos luttes sont devenues des combats et le bonheur commun s’est transformé en bien être individuel.

Quelles réponses naissent de cet écart entre ce que la société voudrait véhiculer de l'homme en pareille situation et ce qu'il peut être effectivement ?

Comme le dit Edward Bond :
«  Nous avons le devoir de créer un nouveau théâtre de l’humanité sinon la folie sociale créera un nouveau théâtre de la banalité et de la barbarie. »

L'écriture de Gianina est au cœur de cette recherche et de cette incertitude.
Un simple mur de papier.
Un mur qui pourrait être déchiré, sans prévenir, à tout moment…
Quelle est la fonction et la forme d’une dramaturgie d’aujourd’hui.
Qu’est-ce qu’une fiction écrite ?
Qu’est-ce que le réel ?
Quels effets les effractions du réel peuvent avoir sur l’ écriture durant la représentation ?
Est-ce que la réalité a perdu conscience  ou avons nous perdu la conscience de la réalité ?
Quelle est la part du récit dans notre imaginaire commun ?
Quelle est la part de l’image ?
C’est quoi une image ?
C’est quoi regarder ?
Qu’est-ce que l’on regarde ?
C’est quoi  une histoire ?
C’est quoi l’Histoire ?
C'est quoi notre histoire ?

Chacun est la somme de ses actes et n'a d'existence que dans leurs conséquences.
Gianina nous invite à prendre la mesure de ce que nous avons peut-être déjà perdu.
Deux jours après une réunion avec mon équipe, j’ai reçu le texte que Gianina venait de finir:

AVANT HIER - APRÈS DEMAIN.

Il était comme une réponse qu’elle faisait à nos interrogations.
Comme si elle avait été là  avec nous et nous avait fait cette surprise de son travail.
Alors il était clair qu’il fallait commencer à répéter, sans attendre.
Quel terme employer pour désigner le matériau théâtral proposé ici par Gianina Cãrbunariu au metteur en scène.
Une partie du texte a été écrite à partir de propositions faites par les comédiens avec lesquels Gianina travaille habituellement.
Avec ce matériau à la fois brut et sophistiqué, Gianina interroge la dramaturgie dans sa structure et dans sa fonction même.
Elle invite donc le metteur en scène à s’ approprier ce matériau, à le modeler, le modifier… pour qu’il soit le reflet de Notre réalité.
La réalité de l’ équipe qui travaille à ce moment-là..
Gianina demande à chacun dans sa fonction d’acteur ou de metteur en scène d’être auteur et d’interroger le processus de l’écriture.
Comment dire le monde aujourd’hui ?
Comment affronter les images du passé et la réalité d’un présent impossible pour construire un futur envisageable et acceptable ?
La réponse imaginaire que propose une forme théâtrale étrange face à ces êtres, avec une structure apparemment brisée qui présente un matériau sans commentaire et demande au public de se fabriquer sa propre réponse.
Les images sont des présages et il nous faut apprendre à les lire….
En tant que metteur en scène, je suis ému par le savoir faire et la maîtrise d'un aussi jeune écrivain.
Je ne sais pas si elle deviendra un écrivain de première importance.
Avant même d'avoir atteint son âge, Rimbaud avait révolutionné et abandonné la poésie pour se lancer dans le trafic d'armes.
Mais pour moi elle est comme un journal, elle m’informe et me tient éveillé.
La violence émotionnelle est bien plus fortement au centre de ce texte que la violence physique.
C'est ce qui le rend plus menaçant pour le spectateur.
On sait ou l'on pressent de quoi il s'agit.
Chaque soir il faudra se confronter à cette réalité et à ses effractions mettant en péril et en dialogue notre savoir-faire et notre certitude de théâtre.
Nous ne ferons peut-être que nous tromper.
En espérant changer tous les jours notre façon de nous tromper.

Avec AVANT HIER - APRÈS DEMAIN

Les nouvelles ne sont pas bonnes…
Comme le dit encore Edward Bond :
« … Nous devrions avoir peur du futur, nous y sommes déjà allés »…

Et ici, là, des dates... celles de nos représentations… égrenées chaque jour, pour nous remettre au cœur de la réalité.
Car ces dates feront désormais partie de notre histoire.
Gianina  nous a rejoins comme auteur associée au Théâtre-Studio depuis 2005.
Elle me fait l’honneur de me demander de préfacer cette édition,

Merci Gianina !

Christian Benedetti

Mises en scène de Christian Benedetti

Gianina  a rejoint le Théâtre-Studio comme auteur associée depuis 2005.

  • 2005 : Stop The Tempo, (Création en France)
  • 2007 : Kebab, (Création Européenne)
  • 2009 : Avant Hier/ Après Demain (Nouvelle du Futur), (Création en France)
  • 2010 : La guerre est finie, qu’est ce qu’on fait ? (Création mondiale)